Rencontrer un psychologue suite à un traumatisme

A Paris 9ème

Petite histoire du traumatisme : d'une conception organiciste aux apports de la théorie psychanalytique

Extrait de l'ouverture du XLIè collloque du RPH portant sur le traumatisme et ses temporalités. 


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C’est particulièrement à la fin du XIXe siècle, quelques décennies après l’arrivée des premiers chemins de fer, que se multiplient les accidents et les accidentés. Les voyageurs victimes de ces accidents développent des symptômes psychopathologiques que les médecins diagnostiquent comme étant dus à la commotion causée par la violence de l’accident.
 
En 1866 apparaît le terme de Railway spine[1], formulé par le docteur John Eric Erichsen pour décrire le syndrome dont souffrent ces victimes d’accident de chemin de fer et d’accident du travail. Malgré des lésions invisibles, c’est la thèse organique qui est retenue. Elle soutient que le choc de l’accident est responsable de dommages tissulaires au niveau de la moelle épinière qui, plus tard, atteignent le cerveau. Cela explique les symptômes de tremblements, d’angoisse ou de dépression qui sont, eux, bien observables.

On peut déjà noter un élément important admis au sein même de la position organiciste de l’époque : c’est la prise en compte par les médecins de l’importance de la violence de l’accident, du choc vécu, que ses répercussions soient émotionnelles, psychiques, corporelles ou organiques. Une donnée économique qui n’est pas sans rappeler la conception freudienne du système de pare-excitation qui verra le jour sous la plume de Sigmund Freud au début du XXe siècle.

En 1889, le docteur Hermann Oppenheim publie son traité sur ce qu’il nomme la traumatic neurosis[2], la névrose traumatique. Dans la genèse de cette névrose, il maintient certes l’existence d’une lésion physique à considérer mais, à la différence de ses prédécesseurs, souligne le haut rôle du facteur psychique de la peur, du sursaut (der Schreck) ou encore de l’ébranlement (die Erschütterung) qui cause l’altération du psychisme et par là-même la survenue de troubles physiques[3].

Des symptômes corporels dus à un psychisme perturbé, anachroniquement, nous nous rapprochons des symptômes de conversion de l’hystérie que le docteur Jean-Martin Charcot étudie alors en France à la Salpêtrière autour des années 1875. Fort de son expérience clinique quelques années plus tôt où il étudie de nombreux troubles dits neurologiques comme l’épilepsie ou les paralysies, il s’attelle désormais aux présentations de malades atteints d’hystérie.

Au fil de son expérience, la pensée scientifique de Charcot à l’égard de l’hystérie évolue. D’une étiologie organique neurologique de l’hystérie dont les symptômes pouvaient parfois s’apaiser par des pressions ovariennes, et non par des hystérectomies – solution chirurgicale radicale que Charcot se défend d’avoir recommandée – Charcot chemine vers l’hypothèse d’un traumatisme comme évènement déclencheur d’une névrose latente, qu’il s’agisse d’une hystérie masculine ou féminine. Il évoque le traumatisme, le choc, comme un « agent provocateur »[4] qui vient révéler des prédispositions. Son travail aboutit à mettre de l’ordre dans le diagnostic des malades qu’il présente. Les symptômes de paralysie, la neurasthénie ou l’épilepsie relèvent de l’hystérie, c’est là la « cause originelle »[5] déclenchée par un traumatisme, qui en est une « cause occasionnelle »[6]

Dans ses leçons de l’année 1888, il réfute l’existence de lésions physiques et postule qu’il s’agit plutôt de lésions d’ordre dynamique pour éclairer la nature traumatique des symptômes. En utilisant l’hypnose, Charcot découvre que la douleur peut être entièrement suggérée, qu’il s’agisse de son intensité ou de sa localisation. Il rapproche alors les effets artificiels de la suggestion des effets spontanés d’une vive émotion, de la peur pour éclairer les conditions de leur survenue[7].

Parmi la foule des étudiants venant assister aux présentations cliniques du maître Charcot, Freud est présent. Il admire Charcot et poursuit son travail sur l’hystérie. Quelques années plus tard, en 1895, il y répond avec Joseph Breuer grâce aux discours des patientes hystériques : « (…) c’est à la sexualité, source de traumatismes psychiques, et facteur motivant du rejet et du refoulement de certaines représentations hors du conscient, qu’incombe, dans la pathogénèse de l’hystérie, un rôle prédominant »[8].

Freud s’inscrit en désaccord avec la position de Charcot sur le rôle « d’agent provocateur »[9] du traumatisme dans la genèse des symptômes hystériques et privilégie le facteur sexuel. En outre, il ne s’agit pas seulement d’un, mais de plusieurs « traumatismes partiels »[10].

Le ton est donné, il s’agit désormais pour Freud d’aller de découvertes en découvertes : d’une théorie de la séduction avec des abus sexuels réels jusqu’à l’abandon de sa neurotica, du refoulement du fantasme de séduction et sa formulation de l’après-coup éclairant la temporalité qu’implique le traumatisme. Freud cherche et continue de théoriser. En 1920, il écrit Au-delà du principe de plaisir[11]. C’est aussi ce que fera Jacques Lacan en articulant sexualité, Réel et traumatisme pour parler du troumatisme [12].

[1] Erichsen, J.-E. On railway and other injuries of the nervous system, 1867, https://archive.org/details/onrailwayandoth00ericgoog/page/n4/mode/2up
[2] Oppenheim, H. Die traumatischen Neurosen. Nach den in der Nervenklinik der Charité in den letzten 5 Jahren gesammelten Beobachtungen, 1889, https://archive.org/details/dietraumatische00oppegoog/mode/2up
[3] Ibid., pp. 123-4 : « Für die Entstehung der Krankheit ist das physische Trauma nur zum Theil verantworlich zu machen. Die Hauptrolle spielt das psychische : der Schreck, die Gemütherschütterung. Die Verletzung schafft allerdings directe Folgezustände, die aber in der Regel keine wesentliche Bedeutung gewinnen würden, wenn nicht die krankhaft alterirte Psyche in ihrer abnormen Reaction auf diese körperlichen Beschwerden die dauernde Krankheit schüfe. » Ce que nous traduisons par : « Dans la genèse de la maladie, la responsabilité du trauma physique est seulement partielle. Le rôle principal revient au trauma psychique : la peur, l’ébranlement de l’âme. Il est vrai que la blessure crée des conséquences directes qui, en règle générale, ne prendraient pas une ampleur essentielle si le psychisme, altéré par la maladie dans sa réaction anormale à ces plaintes corporelles, n’engendrait pas cette maladie permanente. »
[4] Blin, E. Leçons du mardi à la Salpêtrière, professeur Charcot : policlinique 1887-1888, notes de cours de MM. Blin, Charcot et H. Colin, 1892, p. 7, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55646784/f285.image.r=spontane
[5] Ibid., p. 93.
[6] Ibid.
[7] Blin, E. Op.cit., p. 279.
[8] Freud, S. & Breuer, J. (1895). « Avant-propos de la première édition », in Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 2011.
[9] Freud, S. & Breuer, J. (1895). « Le mécanisme psychique de phénomènes hystériques. Communication préliminaire », op. cit., p. 3.
[10] Ibid.
[11] Freud, S. (1916-20). « Au-delà du principe de plaisir », in Œuvres Complètes, Vol. XV, Paris, PUF, 2002, pp. 273-338.
[12] Lacan, J. (1973-74). Le Séminaire, Livre XXI, Les Non-dupes errent, Paris, ALI, 2001, inédit, p. 128.